La réduction des risques, c’est quoi ?

Habituellement, on désigne sous le terme de Réduction des risques (RDR) l’ensemble des mesures et politiques de santé publique visant à limiter les dommages (contaminations, infections…) pour les personnes consommatrices de drogues. La réduction des risques concerne toutes les drogues, légales et illégales, ainsi que tous les usages qu’ils soient expérimentaux, récréatifs, ponctuels, abusifs ou inscrits dans une dépendance.

La RDR est plus simplement un ensemble de stratégies visant à limiter les risques sanitaires et sociaux liés à l'usage de drogue. L’objectif général du dispositif est de réduire les risques infectieux et sanitaires ainsi que les dommages sociaux et psychologiques liés à la consommation festive, abusive, nocive et/ou dépendante de substances psychoactives licites ou illicites. Réduire les risques liés aux pratiques « culturelles »(piercing, tatouages…) et aux pratiques sexuelles.

La RDR est née dans les années 80 avec l'épidémie de sida. Son objectif initial était de limiter la contamination par les virus (VIH, hépatites B et C) chez les injecteurs de drogues. Elle s'est élargie à une prise en charge globale de la santé des usagers de drogues. Elle prend en compte les différents dommages liés aux drogues selon les produits, les personnes et leur environnement.

Réalités de terrain

La réduction des risques, c’est admettre qu’une société sans drogue n’existe pas, et n’a jamais existé (dixit Nicole Maestracci, ancienne présidente de la Mission Interministérielle de Lutte contre les Dépendances et les Toxicomanies) ; toutes les sociétés au cours des siècles ont été confrontées à l’usage de substances psychoactives, qu’elles ont cherché à encadrer ou réprimer.

Bien souvent, le recours à ces substances, perçues par certaines cultures comme un lien direct avec le surnaturel ou le divin, était strictement réservé à quelques initiés (chamans) ou à un rite social. De même, certaines substances ont été encensées avant d’être réprimées (l’héroïne a par exemple été utilisée comme traitement de substitution à la morphine au début du 20ème siècle). N’oublions pas non plus que nombre d’entre elles ont été inventées par des scientifiques, ou expérimentées par l’Armée (ecstasy).

N’en déplaise à certains hommes politiques adeptes de la tolérance zéro, tout l’arsenal répressif mis en place par nos gouvernements contre les consommateurs n’est jamais parvenu à empêcher l’expérimentation ou la consommation régulière de substances illicites. Mais bien souvent, ces lois ont des conséquences dramatiques au niveau humain, sanitaire et social, en condamnant les usagers de drogues à la clandestinité et au silence sur leurs prises de risques.

La réduction des risques ne concerne pas que les personnes injectrices ou héroïnomanes : si les seringues et les "kits d’injection" sont le symbole de la RDR, celle-ci repose aussi sur l’idée que toute prise de drogue entraîne potentiellement des risques que l’on peut limiter en s’informant ou en modifiant son comportement.

Au lieu de juger les usagers et leurs pratiques Médecins du Monde a une approche pragmatique et réaliste. Il s'agit d'informer pour limiter les risques et accompagner les usagers de drogues pour les aider à éviter la consommation abusive et les pratiques à risques.

Réduire les risques, c’est accepter l’idée que le risque zéro n’existe pas !



Principes éthiques

La réduction des risques n’a pas pour objectif d’encourager ou de condamner l’usage de drogues; son but est seulement de donner les moyens (informations, matériel stérile, accès aux droits sociaux…) aux personnes consommatrices de substances psychoactives de protéger leur capital santé.

Une information claire et objective sur les risques liés à l’usage de drogue n’incite pas à consommer des psychotropes. De même que la mise à disposition des outils pour consommer des drogues à moindres risques ne favorise pas l’usage de drogues.

La réduction des risques ne s’oppose pas à la prévention, elle s’adresse à ceux et celles qui ont dépassé l’interdit de la consommation pour que leur usage de drogues soit le moins nocif possible à long terme, pour eux et leur entourage. La prévention, le soin des addictions et la réduction des risques participent ensemble à la promotion de la santé de la population en général et des usagers de drogues en particulier.

L 'approche de la RDR se conçoit sur plusieurs distinctions majeures:
- la dangerosité des produits: le cannabis n'induit pas les mêmes conséquences sanitaires et sociale que l'héroïne.
- les différents usages : l'usage problématique n'induit pas les mêmes conséquences sanitaires et sociale que l'usage occasionnel.
- les différents mode de consommation : l'injection n'induit pas les mêmes conséquences sanitaires et sociale que l'ingestion ou l'inhalation.
- les différents contextes : l'usage de drogue dans un environnement stable n'induit pas les mêmes conséquences sanitaires et sociale que l'usage dans un environnement précaire.

La RDR adapte son message de prévention aux personnes, à quelque étape qu'elles soient :
- il vaut mieux ne pas consommer de drogue
- si on en consomme, il vaut mieux ne pas le faire par voie injectable
- si on consomme des drogues par voie injectable, il vaut mieux utiliser une seringue propre, un seule fois….

La RDR est une démarche de prévention, de soins, et de restauration du dialogue avec les plus marginalisés. Elle refuse de réprimer les usagers de drogues mais choisit d'en faire des partenaires de la prévention.

Réduire les risques, c’est donc aussi admettre que les usagers de drogues sont des personnes responsables, capables d’exercer leur libre arbitre pour faire des choix pour leur santé ; dix années de RDR ont mis en évidence la capacité des consommateurs de substances à s’organiser pour préserver leur santé : création de groupes d’usagers, distribution de matériel stérile, informations sur les risques, changements de comportements, diffusion de pratiques de consommation à moindre risque… Grâce à cette prise de conscience collective, les usagers de drogue ne représentent plus que 2 à 3% des nouvelles contaminations par le VIH, et les overdoses ont été divisées par 10.

La réduction des risques œuvre dans le sens d’une reconnaissance des usagers de drogue comme des citoyens à part entière. Même si un usager de drogue est en infraction avec le code pénal du fait de la loi de 70, il/elle a le droit à la participation sociale, à la santé, à l’éducation, au travail, au respect.

La démarche de réduction des risques part des demandes et besoins des usagers en matière d’infos, d’outils et d’accompagnement sanitaire et social, pour leur permettre de s’approprier des outils et infos qui visent à limiter les risques liés à l’usage de drogues. Elle privilégie une approche de proximité des usagers de drogue, en intervenant préférentiellement sur les lieux de vie des usagers : par exemple dans les espaces festifs. La démarche de réduction des risques reconnaît l’usager comme un expert pour lui-même et sa santé, ayant des connaissances et un savoir-faire relatif à l’usage de drogues.

La réduction des risques, c’est accepter que ce qui est bon pour soi ne l’est pas forcément pour l’autre, et vice-versa : chaque parcours est unique, ce qui nous pousse à consommer telle substance plutôt que telle autre ou à recourir à telle pratique plutôt qu’une autre est motivé par des raisons complexes qui varient d’une personne à l’autre. Si certains types de consommation peuvent entraîner des conséquences sanitaires plus lourdes, aucun choix n’est plus condamnable qu’un autre. L’injecteur d’héro n’a pas forcément des tendances suicidaires, le gobeur de taz n’est pas forcément si bien que ça dans sa tête…

Parfois le pire des risques, c’est le regard de l’autre, c’est se sentir rejeté par son entourage, condamné par la société parce que ses choix de vie sont considérés comme déviants par la norme.

Réduire les risques, c’est essayer de suspendre son jugement sur l’autre, le considérer comme son égal , quelque soit sa consommation, ses pratiques, son milieu culturel, son sexe, son genre, son orientation sexuelle, son apparence, ses origines, sa religion ou ses croyances… C’est donc travailler aussi sur nos propres préjugés, nos représentations sur ce qui est "bien" ou "mal"… Et c’est parfois l’objectif de la RDR le plus difficile à atteindre !



Les principes de MDM

- Un travail de proximité : Médecins du Monde va au devant des usagers de drogues les plus marginalisés en s'appuyant sur des antennes mobiles et du travail de rue ainsi que les missions raves.
- Un lien médico-social : Médecins du Monde crée un lien avec les usagers, sans jugement, et en les laissant libre de leurs choix en proposant un suivi médical,et /ou une orientation vers des structures adaptées.
- Un fonctionnement en réseau : Médecins du Monde s'appuie sur des associations d'usagers pour faciliter l'accès aux usagers et adapter au mieux les messages de prévention ainsi que sur les CA.A.R.U.D. qui sont missionnés par l'état.
- Des outils de recherche : Médecins du Monde tente d'informer au mieux les usagers sur le contenu réel des produits en développant des programmes d'analyse de drogues.

Toute prise de produit peut se révéler potentiellement dangereuse, et personne n’est au-dessus d’un accident. On peut choisir de ne plus consommer du tout. On peut choisir de ne pas s’informer et de consommer en croisant les doigts très fort. On peut choisir d’aller au bout de ses limites et de se détruire consciemment en toute connaissance de cause. Et on peut aussi choisir de limiter la casse en s’informant sur ce qu’on prend ou en adoptant des pratiques "safe", C’est à chacun de décider librement de ce qu’il souhaite pour lui-même, pour le présent et le futur. Et on peut faire un choix aujourd’hui, et changer d’avis plus tard, même si malheureusement certaines conséquences peuvent s’avérer irréversibles.

Notre but en tant qu’association de RDR est de donner les moyens d’accéder aux informations et au matériel pour que les usagés puissent décider en toute connaissance de cause.

Associer les usagers de drogues à la protection de leur santé, faire appel à leurs responsabilités, reconnaître à la fois les droits et les devoirs, tels sont les fondements de la démarche de la réduction des risques. Elle exige de nouvelles relations entre l’usager et son environnement, sociétal ou professionnel. Nous avons encore du chemin à parcourir mais du moins nous avons appris que ces nouvelles relations, qui sont aussi de nouveaux comportements de part et d’autre, ne sont pas purement utopiques.

Dans la logique de la réduction des risques, l’usager de drogues est devenu "acteur de sa santé", c’est à dire un homme comme les autres.

Au-delà du slogan, le dialogue n’est ni simple ni immédiat ; il exige de part et d’autre un apprentissage le plus souvent laborieux, quelquefois douloureux. Mais c’est aussi dans cette recherche de relations plus authentiques que nos pratiques sur le terrain trouvent leur sens.